Texte & Musique : Thibault Muller
La fin de semaine est arrivée, on est samedi. Hier il y a eu 1 ou 2 mm de pluie, ça a soulagé les plantes et fait un peu de bien à mes bidons de récupération d’eau. Il faudrait quelques jours comme ça, et je pourrai refaire une partie de mes provisions. Quelques plantes poussent doucement, et pour l’instant je désherbe le reste des zones de culture, j’ameublis la terre, pour y repiquer les plants qui ont poussé au chaud à la maison.
Quand on s’est décidé à acheter le terrain, on n’avait aucun matériel, et jamais rien planté. Je mettais un point d’honneur à ne pas utiliser d’engin motorisé. J’ai craqué uniquement pour la tondeuse et un petit débroussailleur. Au départ j’ai hésité pendant plusieurs semaines à entretenir à la faux, mais 1400m2 de terrain, ça m’avait semblé insurmontable. En réalité, je pense que ce serait possible, en laissant des zones plus sauvages, comme je le fais finalement déjà. Par contre, hors de question d’acheter un motoculteur. Je désherbe à la main, j’ameublis la terre à la grelinette ou manuellement, et fais du paillage avec un petit hache-paille que j’ai acheté d’occasion. Il m’a fallut des mois pour en trouver un, et il faudra probablement que je trouve quelqu’un apte à me refaire des lames car celles qui sont dessus ont bien vécu, mais il fait malgré tout son travail et permet de faire quelques décimètres-cube de BRF, du Bois Raméal Fragmenté. Avec ça et la tonte de gazon, je peux faire un petit manteau pour protéger un peu le sol de la chaleur qui l’assèche.
L’objectif n’est pas de produire toute notre nourriture, mais une part de plus en plus large des légumes que nous consommons à l’année. Dans mon esprit, c’est à la fois un début d’autonomie et un poids en moins sur les commerces en cas de pénurie alimentaire.
J’espère devenir plus efficace et compétent au fur et à mesure des saisons. J’ai les outils, et acquiers petit à petit de l’expérience. Il n’y a pas de raison que je ne réussisse pas à progresser !
Demain, c’est la journée citoyenne hebdomadaire, et comme c’est le premier dimanche du mois, j’ai deux assemblées de prévues : celles du premier et deuxième cercles. Dimanche prochain, ce sera l’assemblée du troisième et quatrième cercles, et le troisième dimanche, celles des cercles 5 et 6. Le calendrier se répète ainsi chaque mois. Les assemblées durent en général de quarante cinq minutes à deux heures. La plus longue à laquelle j’ai participé a duré 3h suite à une discussion difficile, mais c’est rare. Elles sont obligatoires, chacun doit y prendre part s’il ne veut pas être révoqué. En cas de problème, on peut participer par visioconférence, ou au pire, par téléphone.
C’est obligatoire car si un représentant est absent sans prévenir, il ne peut alors faire remonter les problèmes et propositions des personnes qu’il représente. C’est en général très mal perçu par les gens qui comptent dessus, et on ne le revoit généralement plus très souvent.
Les cercles ont été créés parce que beaucoup de gens, dont je fais partie, considèrent que la situation politique catastrophique que nous connaissons vient de l’abandon par les citoyens de leur pouvoir. Nous avons trop remis l’exercice de la prise de décision à des élus mandatés pour réfléchir et agir à notre place. Les cercles, bien qu’imparfaits, permettent d’impliquer beaucoup plus les citoyens dans la prise de décision et favorisent l’initiative locale et la transparence.
Thibault : Nous sommes dimanche 3, et comme d’habitude, j’enregistre la rencontre sur mon magnétophone numérique, vous pourrez la réécouter sur le site internet. Ainsi, pas besoin de désigner un rapporteur. Bienvenue à cette 27ème assemblée du premier cercle. Je vous rappelle, selon la charte, que toute insulte, menace est interdite, sous peine de révocation ou de bannissement des prochaines assemblées. Cette assemblée est strictement publique. Tout citoyen de la ville peut obtenir le contenu de nos échanges. Nous accueillons une nouvelle participante aujourd’hui. Pierre qui était avec nous jusqu’ici a rejoint une assemblée plus proche de chez lui, et sera dorénavant remplacé par Elise… Elise, pardon pour ce ton que je trouve un peu protocolaire, mais cela fait partie des obligations pour la tenue de l’assemblée : Messieurs – Mesdames, veuillez vous présenter pour signifier votre présence.
Joseph : Joseph, du numéro 37, je suis présent par visioconférence
Catherine : Catherine, du numéro 30
Laura : Laura, du numéro 32
Vincent : Vincent, du 35
Marion : Marion, numéro 40, juste à côté du fleuriste
Elise : et donc moi c’est Elise, du numéro 30, au troisième étage
Thibault : Thibault, du numéro 31
Thibault : Pour commencer, Elise, as-tu compris comment fonctionnent les cercles ?
Elise : le premier cercle ça va, si j’ai bien compris, toute la population de la ville est divisée en groupes de sept personnes… En assemblées de sept personnes, pardon.
Thibault : c’est ça, mais pour faire plus simple, on intègre dans cette première assemblée uniquement un représentant de chaque foyer fiscal. Par exemple un représentant d’un couple avec enfant, ou un célibataire. On se réunit chaque mois, et on échange sur les problématiques locales et nos projets pour la collectivité.
Elise : D’accord, et comment fonctionnent les autres cercles et les suivants ? Est-ce qu’on élit quelqu’un qui part au deuxième cercle ?
Thibault : c’est à peu près ça, mais attention, ce n’est pas un mandat : on désigne un représentant qui va relayer les problèmes et les projets de chacun au cercle suivant. Le deuxième cercle est constitué d’assemblées de sept représentants du premier cercle. Le troisième cercle, de représentants du deuxième. Et ainsi de suite. Ces représentants peuvent changer du tout au tout chaque mois.
Joseph : Les représentants font aussi partie de tous les cercles précédents. Par exemple un représentant du sixième cercle fait aussi partie des cercles 1 à 5. Il doit aussi participer aux assemblées des cercles correspondants.
Elise : ah ok ! Mais ça fait un paquet de réunions alors ?
Thibault : pour un représentant du sixième cercle, cela représente six réunions d’assemblées par mois. Une par cercle. C’est du temps à y consacrer, mais c’est le temps qu’on doit investir pour être nos propres décisionnaires. L’avantage que je vois à ce système, c’est qu’il redonne une grande responsabilité collective, et un grand pouvoir de contrôle. Un représentant au sixième cercle, s’il fait n’importe quoi ou trahit les personnes qu’il représente, perdra toute légitimité et ne sera probablement même plus représentant au deuxième cercle le mois d’après.
Laura : Et globalement, le sixième cercle s’occupe des projets qui impactent toute la ville ou qui nécessitent des moyens importants. C’est le plus élevé au niveau municipal car il peut potentiellement représenter plus de 115000 foyers fiscaux. Mais si ce système était adopté au niveau national, il ne suffirait de rajouter que trois cercles de plus : le neuvième cercle représenterait 40 millions de foyers fiscaux, plus que ce dont on a besoin pour représenter la France entière.
Elise : et en quoi consiste le rôle de représentant ?
Marion : le représentant fait remonter les problèmes et les propositions de chacun au cercle dont la décision finale dépend. Par exemple, si tu as un problème avec ton voisin parce qu’une branche menace ton raccordement électrique, la décision de couper la branche peut être prise au premier cercle. Si tu veux t’approprier une place de stationnement de la rue pour faire ton potager, cette décision dépend du deuxième cercle ou troisième cercle.
Thibault : D’ailleurs en général, les représentants sont ceux qui ont des propositions à faire et à défendre. On préfère les envoyer pour défendre leur projet eux-même au cercle qui prendra la décision finale.
Elise : D’ailleurs c’est justement ça, j’aimerais utiliser la place qu’il y a devant chez moi pour faire un potager.
Thibault : Très bien, je le prends en note, on en parlera avec les membres du deuxième cercle mais en général ça ne pose pas de problème. Dans le pire des cas, ils te proposeront un emplacement sur le parking à 100 mètres.
Thibault : Si tout est clair, on fait le petit tour de table habituel. Joseph, as-tu des propositions ou des problèmes ?
Joseph : Non, pas ce mois-ci
Thibault : Catherine ?
Catherine : Rien de particulier, tout va bien !
Thibault : Laura ?
Laura : Je me pose toujours la question concernant l’organisation de la rue pour la création du verger… Sais-tu où cela en est Thibault ?
Thibault : Oui, j’ai rencontré Samuel du 12, il y a trois jours. Il y a plusieurs petits obstacles. Le premier c’est qu’on se heurte à quelques résistances. Plusieurs personnes ne veulent pas acheter des arbres qui seront en accès libre dans la rue. Elles voudraient en quelque sorte réserver la cueillette aux personnes qui ont investit dans l’achat des fruitiers.
Laura : Oh mais c’est pas possible ! … Par respect pour la charte, je ne vais pas dire ce que je pense d’eux… Mais sérieusement il faut qu’on avance, on ne pourrait pas acheter les arbres avec les gens qui sont de bonne volonté ?
Thibault : Si, même si pour une meilleure entente on préfèrerait inclure tout le monde. Qu’on évite les tensions en aval. Le deuxième obstacle, c’est que les pépiniéristes sont complètement débordés. On n’a plus assez de plants pour tous les vergers qui se créent…
Laura : Dans ce cas, on ne peut pas les faire venir d’ailleurs ? Parce qu’une fois plantés, il faudra encore attendre plusieurs années avant de pouvoir récolter.
Thibault : C’est effectivement une idée. D’après Samuel, les pépiniéristes proposent d’aller chercher en camion des plants à Clermont-Ferrand de manière groupée. On fait tous remonter l’information, et les deuxièmes et troisièmes cercles ont pour mission de faire un recensement des besoins. Ca fait son chemin petit à petit.
Laura : Ok super, tu nous tiens au courant ?
Thibault : Bien sur. Je pense que nous aurons dès demain le tarif des plants. Samuel a la liste et va faire établir un devis pour la livraison. On mettra tout ça à discussion et on verra qui veut participer financièrement. Pour aider les réfractaires, il a proposé qu’on donne aux participants des tickets gratuits pour les voitures partagées. Je trouve que c’est une bonne idée.
Les assemblées se sont bien passées aujourd’hui. J’ai proposé mon projet de forêts Miyawaki et les gens ont été plutôt enthousiastes. Certains ont même proposé de m’aider. J’en parlerai la semaine prochaine au troisième cercle. J’ai une semaine pour peaufiner ma recherche d’emplacements pour les forêts, mais j’avais déjà bien dégrossi le travail, j’avais déjà trouvé une cinquantaine d’hectares au total que l’on pourrait investir. Reste à voir ce qui appartient à la ville ou pourrait être assez facilement acquis.
Et Marion avait une idée à soumettre : elle propose de faire un bassin sur la place. Pour embellir le quartier, et si la place le permet, faire un peu d’élevage de poissons pour la consommation. Il y a quelque chose à creuser, dans tous les sens du terme…