Texte & Musique : Thibault Muller
On est mercredi soir et j’ai passé une bonne partie de l’après midi dans une réunion très intéressante. Elle se tenait avec une vingtaine de personnes. Le sujet était le suivant : comment s’organiser pour constituer une vidéothèque conséquente, une sélection des meilleures vidéos d’internet. Je vous vois venir, non pas pour réaliser une compilation de vidéos de chats, mais pour dénicher et recenser les cours les plus aboutis, les plus didactiques. Et ce dans autant de domaines que possible. Les meilleures vidéos pour comprendre et apprendre les sciences par exemple, à tout niveau et à tout âge. Mais aussi des vidéos plus « pratiques » sur le jardinage, la permaculture, la menuiserie, la poterie, la mécanique, le bricolage façon « Do it yourself »… Et de manière générale, tous les arts et savoirs qui peuvent s’expliquer précisément par ce médium. La vidéo a l’avantage d’être un bon complément aux ouvrages papier. Cela ne les remplace pas, mais permet une approche différente et rend souvent les choses plus faciles d’accès.
L’idée vient de la directrice de la médiathèque. Elle a pour projet de développer un espace dédié à la transmission et l’éducation, libre et ouvert. Les volontaires pourraient venir y organiser des ateliers collectifs pour initier à une pratique qu’ils maitrisent et qu’ils veulent transmettre, ou pour répondre à des questions précises sur un sujet donné. La médiathèque proposera aussi accès à des postes informatiques afin de visionner des vidéos de cours sur le sujet de son choix, et en lien avec le fonds documentaire déjà présent. Dans le contexte actuel, l’objectif serait en outre d’alimenter le parc informatique par des panneaux solaires et des éoliennes installés sur le toit, en complète autonomie électrique. Ceci afin de permettre l’accès à cette base de connaissance même en cas de panne massive d’internet ou de coupure électrique, coupures de plus en plus fréquentes ces dernières semaines. Le projet a pour ambition d’utiliser des Raspberry Pi, qui sont suffisant pour cet usage, plus durables et peu gourmands en électricité. Il faudra créer des copies de toutes les vidéos sélectionnées sur des cartes mémoire, qui seront étiquetées, classées et stockées. Une sorte d’encyclopédie pratique. Et accessible hors ligne !
Il y a quelques semaines, la directrice avait glissé une invitation à la réunion d’information dans chaque boite du Casier. J’ai répondu présent par curiosité. Nous nous sommes donc réunis, chacun plus ou moins versé dans une discipline ou un métier, pour sélectionner à la fois les vidéos qui nous semblent les plus abouties dans notre domaine de compétence. Mais aussi celles qui nous semblent les meilleures dans un domaine où l’on n’y connait absolument rien. Ceci afin de comparer les sélections des spécialistes et des débutants de chaque spécialité. La réunion s’était en outre accompagnée d’une méthodologie sur la manière de chercher des informations en ligne et sur youtube.
J’ai ainsi hérité de la mission de trouver des vidéos à propos du tournage sur bois. Je n’y connais pour ainsi dire rien du tout. Je comparerai ma sélection avec celle de Stéphane, le menuisier de mon quartier. Il m’a dit qu’il ne faisait pas cela tous les jours, mais qu’il pratique de temps en temps pour faire les pieds de ses meubles par exemple, et des bols en bois. Je m’y mets dès ce soir, j’ai hâte de découvrir ! Le problème avec moi c’est qu’en général ensuite j’ai envie de m’y mettre et que ça m’obsède pendant des jours et des jours. Je finis par fouiller partout pour trouver du matériel d’occasion et m’y lancer. Ça finit par devenir n’importe quoi, ma maison est une véritable caverne d’Ali Baba !
Laura : Hey salut Thibault !
Thibault : Ah Laura ! Comment vas-tu ?
Laura : Très bien, merci. Dis, tu sais que je fais de l’escalade et de la slackline ?
Thibault : ah non je ne savais pas ! Par contre je ne crois pas connaitre, c’est quoi la slackline ?
Laura : c’est un ruban tendu sur lequel on se déplace, un peu comme les funambules
Thibault : ah bon, alors tu es funambule ?
Laura : c’est un peu la même chose mais l’avantage avec la slackline c’est qu’on peut en installer où on veut et quand on veut : entre des poteaux, des arbres… Elle se monte et s’enlève assez facilement. Tu l’installes où tu veux pour une après-midi, et tu repars le soir tranquillement.
Thibault : ah mais oui ! J’ai déjà vu des gens en faire dans le parc à côté
Laura : oui, ce sont probablement des potes à moi. Dis-moi, je voudrais proposer au cercle d’organiser des sessions cet été et un parcours d’accrobranche sur la place, en utilisant les arbres comme support. Je fais partie d’une association spécialisée dans différents sports urbains, et on organise des stages et des colos sportives d’habitude. Mais avec les restrictions de déplacement, l’année dernière on n’a rien pu faire et la nouvelle est tombée cette semaine, on ne pourra à nouveau pas organiser de colos ni stages cette année. Notre asso n’est pas « homologuée » par le ministère.
Thibault : il y a une homologation pour les associations ?
Laura : ce n’est pas exactement ça, mais en gros l’association a été fichée par la police et la préfecture pour avoir participé à des manifestations culturelles contre le capitalisme. C’est Damien, un de nos membres du bureau qui pratique le Parkour, et qui a distribué des flyers à Paris pour une initiation sur « comment fuir la police en se sauvant par les toits ». C’était au second degré bien sur, mais je crois que ça ne leur a pas plu.
Thibault : Ahah le malin ! Ben écoute moi je trouve ça chouette. Tu verrais ça comment ?
Laura : L’idée c’est de permettre à tous de s’initier à la slackline, à l’accrobranche. On pourrait s’installer rapidement, en deux jours c’est fait, proposer les activités pendant une petite semaine cet été et puis on décroche tout une fois terminé. Mais on aimerait rendre ça un peu festif, si le quartier est d’accord, utiliser l’une des soirées de l’Agora pour faire un spectacle avec l’association. Il y a des cracheurs de feu, jongleurs, on peut faire des figures sur la slackline, faire un battle…
Thibault : trop bien ! C’est une super idée, j’ai aussi pensé à organiser un petit battle/clash pour l’une des Agoras. On pourrait se prévoir tout ça au cours de la soirée, ou sur les deux de cet été ? Si tu veux on te nommera représentante à la prochaine assemblée du quatrième cercle, tu pourras présenter ton projet directement.
Laura : Ah super ! J’allais te demander justement si ça ne te dérangerait pas que je prenne ta place pour défendre la proposition à une plus large échelle.
Thibault : Tu sais, ça ne me dérange pas du tout, ce n’est pas une place attitrée et au contraire, ça me fera un dimanche matin de libre en plus ! Prévois bien les coûts que ça représente, et comment vous voulez vous organiser.
Laura : oui, c’est parfait, ça me laisse une petite semaine pour revoir notre document et l’adapter. Ca devrait aller ! Merci !
Thibault : Avec plaisir Laura, c’est une chouette idée, j’espère que ça se fera !
Les soirées Agora sont les seules officiellement autorisées après 21h. On a une « dérogation exceptionnelle » qui nous permet de nous réunir jusqu’à minuit. Le maire a obtenu l’aval du préfet, en se portant garant de la sécurité, et arguant que ces soirées seraient la soupape de décompression de la population. La police municipale poste donc quelques agents pour surveiller les participants comme des chaperons. Et l’armée n’est jamais loin pour veiller à faire respecter l’heure de clôture. Les Agoras, comme les concerts sauvages d’ailleurs, sont à chaque fois très claires avec les participants : pas trop d’alcool, aucun débordement, sous peine de ne plus avoir le droit de se réunir. Les gens s’autorégulent, les bières sont rationnées, et d’ailleurs les jours d’Agora, la vente d’alcool est interdite par le préfet dans tous les magasins de l’agglomération. L’Agora a lieu en plein air, sur les places des quartiers de la ville. Le nôtre jouxte le centre-ville, mais la soirée reste à taille raisonnable par rapport à d’autres quartiers. Jusqu’ici on comptait 300-400 personnes, mais j’ai l’impression que ça a tendance à augmenter en ce moment…
La prochaine aura lieu dans quelques semaines. Une troupe de théâtre jouera une pièce, un ami musicien viendra faire quelques chansons, j’ai proposé un petit battle de rap pour animer un brin de soirée, dans un autre coin il y aura un débat public sur la réorganisation du casier. Certaines assemblées se plaignent de ne plus s’y retrouver et réclament que les boites soient réalignées et classées. Quelques personnes voudraient d’ailleurs les uniformiser sous la forme de semainiers à l’ancienne avec chacun son tiroir. Je ne sais pas quoi en penser personnellement. J’aime bien les deux approches, l’actuelle, qui évolue à la manière d’un organisme vivant, avec lequel il faut faire connaissance, qu’il faut découvrir. Et celle plus efficace, où chaque chose est disposée de manière à ce qu’on la retrouve plus rapidement. Mais qui perd en surprise, en poésie, et qui fera peut-être que les gens s’attarderont moins et feront moins connaissance. Finalement, je crois quand même que mon coeur penche pour sanctuariser le casier dans son organisation actuelle, mais écoutons les arguments de ceux qui voudraient la changer ! Il y peut-être du bon dans leur proposition.