Texte & Musique : Thibault Muller
Demain, c’est le deuxième dimanche du mois, et les assemblées du troisième et du quatrième cercles se tiendront. Le quatrième c’est le cercle un peu charnière, parce qu’à ce stade, chaque assemblée représente plus de trois cents foyers fiscaux. Certes tous les citoyens de la ville ne prennent pas encore part à ce système d’organisation, certains restent ancrés dans leurs habitudes de se dédouaner de toute responsabilité, et d’autres y sont même carrément opposés. Ainsi, notre assemblée regroupe des représentants d’un territoire un peu plus large que ce qu’il devrait être. Mais dans tous les cas, avec trois cents foyers fiscaux, on est loin de connaitre tout le monde personnellement. Les projets portés doivent donc être beaucoup plus construits et anticipés, argumentés et documentés. Chaque règlement que l’on propose doit être mûrit, bénéfique pour la collectivité et non pour un groupe de personnes au détriment des autres. C’est logique, c’est sain, et c’est bien là l’esprit de cette organisation.
Ce n’est pas parce qu’on s’auto-organise que l’on prend les choses à la légère, bien au contraire. Chacun ressent la responsabilité qui pèse sur ses épaules. Sa voix compte et il doit peser dans son vote l’avis de dizaines d’autres personnes, qui ne manqueront pas d’écouter l’enregistrement ou lire le compte-rendu de l’assemblée. C’est encore plus tangible aux cinquième et sixième cercles. Tous les citoyens impliqués dans ce système d’organisation suivent par internet ou réécoutent les interventions lors de ces assemblées qui décident des orientations de la ville. Gare au représentant qui use de sa voix pour ses besoins personnels lorsqu’il est à contre courant de l’avis de ceux qu’il représente.
D’ailleurs à chaque assemblée de chaque cercle, si un représentant s’abstient lors d’un vote, le vote est alors suspendu, et l’on fait appel à tous les citoyens qu’il représente pour voter. Une sorte de referendum local et sélectif. Cela n’arrive pas souvent jusqu’au cinquième cercle, mais beaucoup plus fréquemment lorsque les enjeux dépassent la responsabilité individuelle que veut accepter un représentant. Il n’est donc pas rare qu’à la fin du mois, après l’assemblée du sixième cercle, nous ayons à voter pour ou contre tel ou tel projet.
Bien entendu, pour l’instant cette organisation par assemblées existe en parallèle des instances de la municipalité. Le conseil municipal se réunit toujours, mais son vote est de plus en plus rarement en opposition franche aux décisions prises lors du sixième cercle. Le conseil municipal s’est plutôt transformé en gestionnaire financier et en contrôleur. Il a un droit de regard sur les décisions qui sont prises et la manière dont elles sont appliquées. Il alloue les budgets et vérifie qu’il n’y a pas de dérapage, et évalue les risques d’avoir des ennuis avec le pouvoir jacobin centralisé. En réalité, il y a plusieurs profils : les conseillers municipaux de la majorité soutiennent pratiquement tous cette « expérimentation démocratique » comme ils la nomment publiquement, et sont souvent en parallèle très investis dans les assemblées en lesquelles ils voient un progrès démocratique. Les plus critiques sont ceux qui envisageaient une carrière politique professionnelle, eux ne voient évidemment pas d’un très bon oeil le rôle de représentant et le fait que la place n’est jamais assurée d’un mois à l’autre. C’étaient d’ailleurs les premiers à proposer aux cercles la nomination des représentants pour six mois et une indemnisation. Deux propositions qui ont été déboutées sans appel par referendum après un mois de débats publics dans les agoras de la ville et surtout au casier. Et puis il y a les conseillers de l’opposition qui pour beaucoup d’entre eux enragent littéralement.
Ils en ont appelé au préfet, au ministre de la cohésion des territoires, au ministre de l’intérieur… Certains ont leurs entrées au Sénat, à l’Assemblée Nationale. Pour l’instant, la situation est telle, partout dans le pays, que personne n’a pris au sérieux des individus qui font sécession de manière citoyenne, sans verser le sang et en respectant finalement les lois de la république, puisque nos assemblées n’ont aujourd’hui aucune valeur réelle à leurs yeux. Nous nous sommes placés en parallèle et non en opposition. Ils se disent probablement que ça nous passera. Et c’est peut-être vrai, mais de fil en aiguille, d’autres villes et villages du département observent les transformations qui s’opèrent ici, et plusieurs initiatives ont été prises pour rebâtir chez eux un modèle similaire voire identique au nôtre. C’est encore embryonnaire mais qui sait ce que l’avenir réserve ?
En attendant, il se peut que l’on ait le temps de retrouver la démocratie dans ce pays, que les gens y prennent goût, et finissent par refuser d’obéir aux injonctions d’un pouvoir qui les a trahit. C’est l’occasion de répondre à la crise sociale et à la pauvreté galopante. C’est l’ultime occasion de tenter de faire face concrètement au changement climatique.
À ce sujet, je pense que l’un des moyens de s’en sortir, c’est de remettre des forêts dans la ville, de vraies forêts, petites, mais efficaces. Il existe une association qui liste des documents concernant la méthode Miyawaki. Elle s’appelle « Semeurs de forêts » et a acheté un terrain pour y planter une foret primaire dense qui servira de refuge naturel. Pas une forêt d’agrément, ni de production, un espace que l’on rend à la nature, comme un remède aux maux qu’on lui cause par ailleurs. Ils ont traduit la documentation d’Afforrest, une entreprise indienne dont le but principal est la multiplication de ces forêts et qui explique pas à pas la reproduction de la méthode.
Zoé : J’ai trouvé une étude de 2011 en Ingénierie Ecologique. Les auteurs ont testé la méthode Miyawaki en comparaison avec un site de reboisement planté selon les méthodes habituelles, dans un contexte de climat méditerranéen.
Zoé était présente à l’assemblée la semaine dernière et m’a proposé de l’aide pour étoffer le dossier en fouillant dans les publications scientifiques. Elle est chercheuse et a accès aux sites spécialisés.
Zoé : C’est un lieu en Sardaigne je crois où ils disent que d’autres méthodes de reboisement ont échoué, et que la désertification menace la région. Ce n’est pas le même climat qu’ici bien sur, mais c’est intéressant parce que les résultats précédents de la méthode Miyawaki avaient été observés sur des zones à fortes précipitations. Je ne sais pas si on peut dire que notre région se situe entre les deux, mais le climat méditerranéen est probablement plus aride, donc plus stressant pour les arbres plantés.
Thibault : Ah génial ! Et alors, qu’est-ce que conclut leur étude ?
Zoé : Ils concluent que la méthode Miyawaki fonctionne clairement mieux que les méthodes de plantation classiques qui avaient été utilisées sur les sites témoin. Il y a toujours une perte de certains arbres au fur et à mesure du temps, tous ne survivent pas, mais moins que dans le cas d’un reboisement avec une méthode classique. La forêt a été plantée en 1997, et l’étude date de 2011. Ils précisent qu’ils ont malgré tout changé quelques paramètres de la méthode pour l’adapter aux besoins d’un climat plus aride. Si j’ai bien compris, Miyawaki préconise d’entretenir la forêt en supprimant les buissons qui s’invitent entre les arbres. Dans le cas de l’étude, ils l’ont moins fait, car le climat étant plus aride, le fait de garder les buissons permet de garder une meilleure humidité au sol, et de réduire le stress hydrique pendant la saison estivale.
Thibault : Hum, d’accord. Ça veut dire qu’il faut garder ça en tête et adapter la méthode en fonction du contexte.
Zoé : Oui, mais visiblement ça marche vraiment : il y a une plus grande biodiversité, les arbres poussent plus vite et la forêt se crée assez rapidement. Alors qu’avec les méthodes conventionnelles, les tentatives de reboisement ont échoué.
Thibault : Super, c’est vraiment une bonne nouvelle ça.
Zoé : J’ai aussi trouvé une étude qui mesure l’impact des parcs sur la température dans les villes. Je te résume rapidement, l’étude a eu lieu en Chine, à Nankin. Ils ont mesuré par images satellites la taille et l’emplacement des espaces verts. L’étude montre que les parcs diminuent la température des îlots de chaleur urbaine. Et ceci d’autant plus que les parcs sont boisés. Une augmentation de 10% de la surface boisée dans les espaces verts correspondrait à une baisse de 0.83°C de la température au sol. Autre conclusion intéressante, l’étude conclut que si une surface boisée est morcelée en plusieurs îlots de verdure, ils peuvent eux aussi avoir un effet positif sur la température environnante.
Thibault : Donc si je comprends bien, l’idée de favoriser l’implantation de plusieurs mini-forêts très denses pourrait avoir un effet bénéfique sur l’ensemble de la température de la ville ?
Zoé : Oui, et cela peut aussi se conjuguer avec d’autres actions comme le changement de types de surface. Le bitume par exemple agit comme un capteur solaire qui irradie ensuite de la chaleur, de même que les vitres des bâtiments. Enlever une partie du bitume et diminuer l’insolation des bâtiments par différents types de pare-soleils peut y contribuer.
Thibault : Bon eh bien écoute ce ne sont que de bonnes nouvelles. En espérant que tout le monde soit aussi convaincu, mais c’est un projet qui vaut le coup je pense.
Zoé m’a donné quelques autres références d’articles. Il semble cependant qu’il n’existe encore que trop peu d’études sur cette méthode dans notre type de climat et trop peu d’études sur l’impact de ces forêts sur la baisse des températures en ville. Les parcs et jardins traditionnels sont étudiés, mais je crois qu’aucun ne comporte de foret densément plantée. Or, si ces forêts ont de nombreux avantages et de nombreuses qualités, j’aurais aimé avoir plus de sources scientifiques précises à apporter pour défendre le projet. Je me prends à rêver de proposer à des chercheurs de créer un protocole sérieux pour mesurer l’impact d’une forêt que nous pourrions planter… Afin de pouvoir transmettre aux autres villes les résultats de l’expérience, et savoir si leur implantation est une véritable solution à l’augmentation de la chaleur dans les villes.
Agir de manière efficace et réfléchie, mais aussi concrète et ambitieuse, loin des effets de communication et des mesures symboliques. Bâtir un monde raisonné. Loin des querelles de clochers, des croyances et des idéologies aveugles : voir les problèmes, étudier les solutions. Prendre les décisions qui servent l’intérêt général, et non la croissance du PIB.